Longtemps perçues comme le pilier d’une alimentation équilibrée, les protéines sont aujourd’hui au cœur d’un engouement qui inquiète les professionnels de santé. Régimes hyperprotéinés, collations enrichies, poudres à shaker et double ration de viande s’invitent dans les repas de plus en plus de Français, souvent dans un objectif de minceur, de tonus ou de vieillissement « en bonne santé ». Mais cette tendance, bien que populaire, comporte des risques peu évoqués et largement sous-estimés. C’est ce que rappelle le Dr Étienne Lenoir, médecin nutritionniste, qui alerte sur les dérives de la protéinisation systématique de l’alimentation. “Nous assistons à un emballement : on prescrit des protéines pour tout et à tous, sans discernement, comme si plus c’était toujours mieux. Or, les excès ne sont jamais neutres”, insiste-t-il.
Trop de protéines dans nos assiettes ? Attention au revers de cette mode alimentaire, alerte ce médecin
Les protéines, essentielles… mais à bon escient
Les protéines jouent un rôle fondamental dans l’organisme : elles participent à la construction des muscles, des enzymes, des hormones, et soutiennent le système immunitaire. Mais l’idée que nous manquerions de protéines est largement infondée en France.
En réalité, la majorité de la population consomme déjà les apports recommandés, soit environ 0,8 à 1 g de protéine par kilo de poids corporel et par jour pour un adulte en bonne santé. Chez les personnes âgées ou très actives, ces besoins peuvent être légèrement plus élevés, sans pour autant justifier des apports massifs.
Le problème ? "On assiste à une course à la protéine, où tout devient prétexte à en consommer plus : petit-déjeuner protéiné, encas enrichis, dîner double portion… même les yaourts s’y mettent. C’est une inflation invisible, mais aux conséquences bien réelles", alerte le Dr Lenoir.
Un trop-plein qui pèse sur les reins et le métabolisme
L’un des premiers organes concernés par l’excès de protéines, en particulier animales, est le rein. Bien que les reins d’un adulte sain puissent gérer des apports élevés pendant un certain temps, une consommation excessive et prolongée augmente la charge de travail rénale. Chez les personnes âgées ou à risque (hypertension, diabète, antécédents rénaux), cela peut accélérer la dégradation de la fonction rénale, sans symptômes au départ.
Autre point d’attention : les régimes hyperprotéinés favorisent une production accrue de déchets azotés, que l’organisme peine à éliminer s’il est déshydraté ou affaibli. De plus, l’excès de protéines animales (viande rouge, charcuterie) est associé à une augmentation du risque de maladies cardiovasculaires, de certains cancers et d’inflammation chronique.
Enfin, une surcharge protéique peut déséquilibrer l’alimentation globale : on mange plus de protéines, mais moins de fibres, de glucides complexes ou de micronutriments essentiels, ce qui affaiblit à long terme la diversité et la qualité nutritionnelle de l’alimentation.
Un emballement médiatique et commercial
L’essor des régimes à la mode (comme le régime Dukan, cétogène ou les diètes "low-carb") a largement contribué à populariser les protéines comme solution universelle : perte de poids, prévention de la sarcopénie, tonus, effet coupe-faim... Les arguments ne manquent pas.
À cela s’ajoutent les industriels de l’agroalimentaire, qui ont flairé l’opportunité. Les gammes de produits enrichis en protéines explosent : barres, biscuits, boissons lactées, soupes, céréales. Pourtant, ces produits sont parfois ultra-transformés, avec beaucoup d’additifs, de sel et de sucre, ce qui contredit leur image de "santé".
Seniors, sportifs, actifs : les besoins ne sont pas uniformes
Il est vrai que certaines populations ont un besoin accru en protéines, notamment les personnes âgées (pour maintenir leur masse musculaire), les sportifs de haut niveau, ou les personnes souffrant de maladies chroniques. Mais cela ne signifie pas que tout le monde doit consommer plus, ni que les besoins doivent être couverts uniquement par des suppléments.
"Une alimentation équilibrée, variée, comportant des légumineuses, des œufs, du poisson, des produits laitiers et un peu de viande suffit amplement à couvrir les besoins. Pas besoin de rajouter systématiquement de la poudre ou une barre protéinée après la moindre marche rapide", explique le Dr Lenoir.
Tableau explicatif : les protéines, entre besoins réels et excès risqués
Population concernée | Besoins en protéines | Risques en cas d'excès |
---|---|---|
Adulte en bonne santé | 0,8 à 1 g/kg/jour | Surcharge rénale, déséquilibre alimentaire |
Senior (>65 ans) | 1 à 1,2 g/kg/jour | Excès inutile si pas de fonte musculaire, interactions médicamenteuses |
Sportif modéré | 1,2 à 1,5 g/kg/jour | Rarement utile de dépasser sans activité intensive quotidienne |
Sportif de haut niveau | Jusqu’à 2 g/kg/jour | Attention aux produits transformés et additifs |
Régime minceur hyperprotéiné | Parfois jusqu’à 2,5 g/kg/jour | Fatigue, carences, effet rebond, perte de masse musculaire au long terme |
Revenir à l’essentiel : diversité, équilibre et bon sens
Manger mieux ne signifie pas manger plus de protéines à tout prix. Il s’agit plutôt de s’assurer de la qualité de ses apports, de leur variété (protéines végétales, animales, non transformées) et de leur adéquation avec les besoins individuels. Une portion raisonnable à chaque repas, accompagnée de légumes, de bons glucides et d’un peu de matière grasse, reste le meilleur cocktail nutritionnel.
Le message du Dr Lenoir est clair : "Ce n’est pas parce que les protéines sont essentielles qu’elles doivent être omniprésentes. Le véritable équilibre, c’est la nuance."