Un aliment perçu comme sain, populaire dans les régimes végétariens et largement présent dans les cantines françaises, est aujourd’hui dans le viseur des autorités sanitaires. L’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail (Anses) a publié un rapport alarmant sur les effets potentiels des produits à base de soja, en particulier chez les populations sensibles. À la lumière de nouvelles données toxicologiques, l’agence recommande l’exclusion de ces produits des menus servis dans les crèches, écoles, hôpitaux, Ehpad et cantines d’entreprises.
Rapport : l’Agence nationale de sécurité sanitaire veut exclure au plus vite cet aliment courant des cantines
Le soja, un aliment pas si inoffensif
Longtemps perçu comme une alternative vertueuse aux protéines animales, le soja est aujourd’hui remis en question pour ses effets hormonaux. En cause : les isoflavones, des composés naturellement présents dans la graine de soja, appartenant à la famille des phytoœstrogènes. Leur structure chimique proche de celle des œstrogènes humains leur permet d’interagir avec les récepteurs hormonaux du corps, modulant ou perturbant l’activité du système endocrinien.
Ces substances, bien que d’origine végétale, ne sont pas sans conséquence sur l’organisme, en particulier chez les enfants, les femmes enceintes et les individus ayant une sensibilité hormonale. D’après les dernières analyses de l’Anses, près de la moitié des consommateurs de produits au soja dépasseraient les seuils d’exposition jugés sans risque, ce qui pourrait avoir des répercussions durables sur la santé.
Des seuils de sécurité désormais fixés
Jusqu’à présent, la France ne disposait pas de seuils toxicologiques officiels encadrant la consommation d’isoflavones. Le nouveau rapport de l’Anses change la donne. Deux niveaux de référence ont été définis :
- 0,02 mg/kg de poids corporel par jour pour la population générale ;
- 0,01 mg/kg/jour pour les femmes enceintes, les femmes en âge de procréer et les enfants prépubères.
Ces recommandations sont basées sur des études toxicologiques menées sur des modèles animaux, principalement des rats, puis extrapolées à l’humain. Les chercheurs ont observé des effets significatifs sur la reproduction, le cycle hormonal et le développement sexuel. Chez les femelles, une exposition chronique pourrait allonger la phase folliculaire du cycle menstruel, retarder l’ovulation ou diminuer la production de progestérone, essentielle à la fertilité. Chez les mâles, une baisse du nombre de spermatozoïdes et des anomalies du système reproducteur ont été observées.
Une attention particulière aux plus jeunes
Le public le plus concerné reste celui des enfants, dont le système hormonal est en pleine maturation. Les experts redoutent qu’une exposition répétée aux isoflavones, via des repas en restauration collective, puisse perturber leur développement endocrinien de manière irréversible. À cela s’ajoute la difficulté à maîtriser les doses effectivement ingérées, les teneurs en isoflavones variant fortement d’un produit à l’autre.
Les crèches, écoles primaires, collèges et lycées sont ainsi en première ligne, et les autorités sanitaires appellent à un retrait préventif du soja de leurs menus. La recommandation s’étend également aux Ehpad, où les résidents sont souvent vulnérables, et aux cantines d’entreprises, dans une logique de précaution généralisée.
Tous les produits à base de soja ne sont pas égaux
Il convient toutefois de nuancer le propos en distinguant les différents types de produits à base de soja. L’Anses rappelle que les teneurs en isoflavones dépendent des procédés de fabrication, de la variété de soja utilisée, et des méthodes de transformation.
Produit au soja | Teneur en isoflavones (approximative) |
---|---|
Biscuits apéritifs à base de graines toastées | Très élevée |
Graines entières de soja | Élevée |
Desserts, laits, yaourts au soja | Moyenne à élevée |
Sauce soja (faible quantité consommée) | Faible |
Tofu fermenté (type asiatique traditionnel) | Faible à modérée |
Les produits transformés selon des méthodes traditionnelles, comme la fermentation ou le trempage, contiennent moins d’isoflavones et sont généralement consommés en quantités modérées. Ce sont donc les produits industriels ultra-transformés (steaks végétaux, biscuits, laits sucrés…) qui posent le plus de problème.
L’appel à une réforme de la filière
Au-delà de la seule restauration collective, l’Anses appelle l’ensemble de la filière soja à revoir ses pratiques. Des leviers existent : choisir des variétés moins riches en isoflavones, ajuster les procédés de trempage ou de cuisson, ou encore mieux informer les consommateurs sur les teneurs présentes dans les produits.
L’agence ne milite pas pour une interdiction du soja, mais pour une vigilance renforcée, particulièrement chez les populations les plus à risque. Elle insiste également sur la nécessité de développer des repères nutritionnels plus précis afin que chacun puisse adapter sa consommation.
Mieux s’informer pour mieux choisir
Le soja n’est pas un poison, mais il doit être consommé avec discernement, comme tout aliment aux effets biologiques marqués. Derrière son image de produit sain et végétal, se cache une réalité plus complexe. Pour la restauration collective comme pour les consommateurs individuels, l’heure est à la modération éclairée.
L’alerte lancée par l’Anses rappelle une chose essentielle : en nutrition, ce n’est pas l’aliment qui est bon ou mauvais, mais le contexte, la dose et la fréquence.