Des substances interdites depuis parfois plus de vingt ans continuent de circuler et de provoquer des intoxications, souvent graves. C’est le constat alarmant dressé par l’Agence nationale de sécurité sanitaire (Anses) à la suite d’une étude menée sur plusieurs années. Dans les jardins de particuliers comme dans certaines zones rurales, des produits phytosanitaires pourtant interdits d’usage sont encore utilisés, souvent par ignorance, parfois par facilité. Un phénomène préoccupant qui met en danger la santé des utilisateurs et de leur entourage.
Trop d’intoxications au jardin : l’Anses met en garde contre l’usage persistant de produits pourtant interdits
Des produits interdits toujours en circulation
L’Anses a analysé 599 cas d’expositions ou d’intoxications enregistrés entre 2017 et 2022 par les centres antipoison français. Dans cette période, 150 produits phytopharmaceutiques différents ont été identifiés, dont 64 substances actives interdites depuis parfois plus de deux décennies.
Le constat est clair : ces substances, pourtant sorties du marché, continuent d’être utilisées dans les jardins privés. Trois causes principales sont identifiées :
- Des stocks anciens encore présents dans les abris de jardin ou les granges ;
- Des produits achetés illégalement sur internet ou à l’étranger ;
- Des ventes à la sauvette sur les marchés, notamment en région parisienne et dans les Outre-mer.
Les intoxications recensées concernent majoritairement des particuliers, souvent peu informés des interdictions en vigueur, qui continuent d’utiliser des produits de type insecticide, herbicide ou taupicide pour entretenir leur jardin ou lutter contre des nuisibles domestiques.
Des risques sanitaires bien réels
Parmi les cas recensés, 75 % des intoxications sont accidentelles : mauvaise manipulation, absence de gants, usage en intérieur ou trop près des aliments. Le quart restant correspond à des actes volontaires, notamment des tentatives de suicide, ce qui souligne la dangerosité extrême de ces produits.
Sur les 55 cas d’intoxications les plus graves, 15 étaient des tentatives de suicide. Les régions les plus touchées sont les départements d’Outre-mer, l’Île-de-France, les Hauts-de-France et la Normandie, selon les données de l’Anses.
Les effets sur la santé peuvent être sévères : brûlures, troubles neurologiques, détresse respiratoire, voire décès dans les cas les plus extrêmes. Certaines substances interdites sont particulièrement toxiques à très faible dose, comme l’aldicarbe, la strychnine ou le paraquat.
Des produits dangereux, malgré l’interdiction
Parmi les substances les plus souvent retrouvées :
- Le dichlorvos : un insecticide encore vendu illégalement sous le nom commercial Sniper 1000, largement utilisé pour lutter contre les punaises de lit et les cafards. Il est impliqué dans près de 80 % des cas d’exposition au dichlorvos en France.
- Le paraquat : un herbicide interdit depuis 2007, mais toujours acheté par les habitants de Guyane au Suriname voisin, où il reste autorisé.
- L’aldicarbe : interdit depuis plus de 16 ans, mais encore présent dans les Hauts-de-France, notamment dans d’anciens stocks utilisés pour la culture de la pomme de terre et de la betterave.
Ces produits, conservés ou importés sans contrôle, échappent aux circuits de surveillance classiques. Ils constituent un risque majeur pour les utilisateurs mais aussi pour les enfants, les animaux domestiques et l’environnement.
Rappel de la réglementation pour les particuliers
Depuis la loi Labbé de 2019, l’usage de produits phytopharmaceutiques est interdit pour les jardiniers amateurs, sauf exceptions précises :
- Les produits à faible risque ;
- Ceux utilisables en agriculture biologique, portant la mention EAJ (Emploi Autorisé dans les Jardins).
La vente, l’usage ou même la possession de produits interdits sont donc illégaux, y compris si ces produits ont été achetés légalement avant leur interdiction.
Tableau récapitulatif : les substances concernées et leurs usages
Substance | Type | Statut | Usage courant | Risque principal |
---|---|---|---|---|
Dichlorvos | Insecticide | Interdit en France | Punaises de lit, cafards | Neurotoxicité, intoxication aigüe |
Paraquat | Herbicide | Interdit depuis 2007 | Désherbage en Guyane (illégal) | Fibrose pulmonaire, létalité |
Aldicarbe | Insecticide/taupicide | Interdit depuis 2008 | Ancien traitement des pommes de terre | Très toxique, dose létale faible |
Strychnine | Taupicide | Interdit depuis les années 90 | Lutte contre les taupes | Convulsions, arrêt cardiaque |
Des gestes simples pour jardiner sans danger
Pour éviter tout risque, il est indispensable d’éliminer les anciens produits interdits en les apportant en déchetterie spécialisée. Il ne faut jamais jeter ces produits dans les ordures ménagères ou dans l’évier.
Avant d’acheter un produit phytosanitaire, il est essentiel de vérifier :
- S’il porte la mention EAJ ;
- S’il est toujours autorisé en France ;
- S’il est vendu par un revendeur agréé.
Des alternatives existent aujourd’hui : désherbage manuel, solutions naturelles à base de vinaigre ou de savon noir, paillage, ou encore recours à des insectes auxiliaires.
Un enjeu de santé publique trop souvent sous-estimé
L’alerte de l’Anses rappelle que la toxicité des produits phytosanitaires ne disparaît pas avec l’interdiction. Tant qu’ils restent stockés dans des cabanons ou qu’ils circulent sur des marchés parallèles, ils continueront de provoquer des intoxications.
Un jardin plus sain passe par une vigilance accrue, des pratiques alternatives et le respect strict de la réglementation. Pour sa propre santé, celle des autres… et celle de la planète.