Ils ont l’expérience, la motivation et bien souvent, encore dix ans devant eux avant la retraite. Pourtant, une fois franchi le cap des 55 ans, de nombreux actifs se heurtent à un mur invisible mais bien réel : la discrimination liée à l’âge. Exclusion silencieuse, regards fuyants en entretien, CV ignorés… Malgré leur parcours, les seniors deviennent indésirables sur le marché du travail, au point de sombrer dans une forme d’invisibilité sociale.
Trop vieux, trop chers : passé cet âge, la discrimination à l’embauche est un vrai problème
À partir de 55 ans, tout change dans le regard des recruteurs
Officiellement, l’âge ne devrait pas être un critère d’embauche. Pourtant, dans la pratique, les employeurs sont nombreux à écarter les candidatures de plus de 55 ans, souvent sans même s’en rendre compte ou sans le verbaliser. Les raisons invoquées sont toujours les mêmes : manque de dynamisme, peur du coût salarial, supposée difficulté à s’adapter aux outils numériques ou aux méthodes nouvelles.
Le 17ᵉ baromètre du Défenseur des droits, publié fin 2024, est formel :
près d’un quart des personnes de plus de 55 ans déclarent avoir été discriminées en raison de leur âge dans leur vie professionnelle. Pire : 66 % des seniors redoutent une telle discrimination, ce qui les pousse à s’autocensurer dans leurs recherches d’emploi ou à postuler à des postes en dessous de leurs compétences.
Un sentiment d’exclusion qui gagne du terrain
Ces discriminations ne sont pas seulement symboliques. Elles ont des conséquences concrètes sur la vie des seniors :
- Une durée de chômage plus longue : les demandeurs d’emploi de plus de 55 ans mettent en moyenne presque deux fois plus de temps à retrouver un poste qu’un trentenaire.
- Une perte de revenus significative, surtout pour ceux qui alternent petits contrats, périodes d’inactivité ou temps partiels.
- Une remise en cause de leur utilité professionnelle, avec un impact direct sur la santé mentale et la confiance en soi.
Le paradoxe est cruel : on leur demande de travailler plus longtemps, mais on ne leur en donne plus l’occasion.
Des stéréotypes tenaces, souvent infondés
Les seniors souffrent d’une image injuste, parfois caricaturale. Certains employeurs les perçoivent comme :
- Moins adaptables aux nouvelles technologies
- Moins flexibles en matière d’horaires ou de mobilité
- Plus coûteux, en raison de leur ancienneté ou de leur prétendue exigence salariale
Or, les études contredisent largement ces idées reçues. Beaucoup de seniors se forment, se reconvertissent, acceptent des rémunérations moindres ou télétravaillent efficacement. Ils apportent en outre une stabilité, une expérience précieuse et une loyauté souvent supérieure à celle des profils plus jeunes.
Le cas des femmes et des seniors issus de la diversité : une double peine
Les discriminations à l’embauche peuvent se cumuler. Le baromètre du Défenseur des droits révèle que :
- 26 % des femmes seniors ont déjà été victimes de discrimination à l’âge
- 43 % des seniors perçus comme issus de l’immigration déclarent avoir été écartés injustement, contre 22 % pour l’ensemble des seniors
Ces chiffres alertent sur une exclusion multiple, à l’intersection de l’âge, du genre et de l’origine perçue.
Ni embauchés, ni retraités : une génération prise au piège
La réforme des retraites de 2023, qui a repoussé l’âge légal à 64 ans, a aggravé la situation pour de nombreux travailleurs de plus de 55 ans. Ils ne sont pas assez âgés pour partir, mais plus assez jeunes pour être embauchés. Résultat : ils stagnent dans une zone grise, cumulant périodes de chômage, contrats courts ou inactivité totale.
Certains, comme Mireille, 60 ans, racontent leur découragement. Malgré une carrière complète commencée à 15 ans, elle ne peut partir à la retraite ni retrouver un emploi digne. « Trop âgée pour travailler, pas assez pour partir », résume-t-elle.
Ce tableau résume les effets les plus fréquents de la discrimination liée à l’âge :
Problème rencontré | Conséquences concrètes | Population concernée |
---|---|---|
Candidatures ignorées après 55 ans | Perte de confiance, isolement | Tous profils seniors |
Entretien sans suite, sans justification | Rejet implicite lié à l’âge | 55-64 ans |
Retard dans l’accès à la retraite | Précarité prolongée, dépendance sociale | Carrières longues ou pénibles |
Requalification obligatoire | Postes en dessous du niveau réel | Seniors au chômage longue durée |
Des pistes pour réagir, individuellement et collectivement
Face à cette réalité, plusieurs leviers existent, même s’ils restent limités :
- Se former régulièrement, notamment sur les outils numériques
- Valoriser son expérience différemment, avec des CV adaptés
- S’appuyer sur les réseaux, qui jouent souvent un rôle clé dans les recrutements à ces âges
- Faire valoir ses droits, notamment en cas de refus injustifié ou de pratiques discriminatoires avérées
Mais la solution est aussi politique et collective : inciter les entreprises à adopter une politique RH réellement inclusive, accompagner les fins de carrière autrement, et sortir du modèle “productif jeune” devenu obsolète.