C’est un pas administratif discret mais capital qui vient d’être franchi. Le 19 mars 2025, le ministère français de la Santé a annoncé avoir notifié à la Commission européenne les textes encadrant la production, la distribution et l’utilisation du cannabis à usage médical. Cette démarche, passée presque inaperçue du grand public, marque une avancée décisive vers la généralisation encadrée du cannabis thérapeutique en France, après plusieurs années d’expérimentation.
Cannabis : ce que la France vient de valider à Bruxelles pourrait tout changer
Une expérimentation nationale longue mais constructive
Depuis 2021, la France menait une expérimentation encadrée impliquant environ 3 000 patients souffrant de pathologies graves : douleurs neuropathiques résistantes, formes sévères d’épilepsie, effets secondaires des traitements contre le cancer ou encore situations de soins palliatifs. Le but ? Évaluer les bénéfices réels de ces traitements dans un cadre sécurisé.
Les résultats ont été jugés suffisamment convaincants pour que, fin 2023, le Parlement vote un dispositif législatif en faveur de l’ouverture contrôlée du marché du cannabis médical. Mais malgré ce vote, rien ne pouvait être appliqué tant que les textes n’étaient pas officiellement notifiés à la Commission européenne, comme l’exige le droit communautaire. Ce blocage, dû à des lenteurs administratives et une instabilité politique, avait suspendu de facto l’entrée en vigueur de la loi.
Cette notification enfin réalisée, selon le communiqué du ministère de la Santé, permet d’enclencher un processus réglementaire qui pourrait transformer l’accès aux traitements à base de cannabis en France dans les prochains mois.
Une nouvelle phase, mais pas encore une légalisation totale
Il ne s’agit pas d’une légalisation au sens large. Ce qui a été validé concerne un accès strictement médical, réservé à certaines indications précises. Les traitements à base de cannabis seront d’abord encadrés par un statut transitoire pendant cinq ans, ce qui permet au gouvernement d’observer leur impact réel avant toute pérennisation.
De plus, la Haute Autorité de Santé (HAS) doit encore rendre son avis sur le remboursement de ces traitements. Ce point est crucial : sans remboursement, l’accessibilité resterait très inégale, freinant de facto la portée du dispositif.
Côté efficacité, les positions scientifiques restent nuancées. Une étude de synthèse publiée en 2021 dans le British Medical Journal, souvent citée par les autorités, concluait que le cannabis médical apportait des bénéfices limités à très limités selon les indications. Ces résultats appellent à une évaluation fine, sans excès d’enthousiasme ni rejet idéologique, pour déterminer les situations où ces traitements offrent une véritable plus-value.
Une attente forte du côté des patients
Pour les malades inclus dans l’expérimentation, cette annonce est un soulagement. Initialement prévue pour se terminer fin 2024, l’expérimentation avait été prolongée jusqu’à l’été 2025, sans garantie de continuité. Désormais, grâce à cette nouvelle étape, le ministère a annoncé que les patients concernés pourront continuer à être traités jusqu’au printemps 2026, ce qui ouvre une fenêtre suffisante pour permettre la mise en place du cadre légal généralisé.
Des associations de patients plaident depuis plusieurs années pour un accès plus large à ces thérapies alternatives. Certaines douleurs chroniques, insensibles aux traitements classiques, trouvent parfois dans le cannabis une solution d’appoint appréciable. C’est aussi le cas pour certains patients atteints de cancers en phase avancée, pour qui le soulagement apporté l’emporte sur les effets secondaires modérés.
La France rejoint (enfin) le mouvement européen
Avec cette notification à Bruxelles, la France comble partiellement son retard. À ce jour, 21 des 27 pays de l’Union européenne autorisent déjà l’usage médical du cannabis, sous diverses formes. Des pays comme l’Allemagne, l’Italie ou les Pays-Bas ont mis en place des filières stables, intégrées au système de santé. En France, le flou réglementaire et la prudence politique ont longtemps freiné toute avancée concrète, malgré une demande croissante.
La notification européenne ouvre donc une phase d’alignement : les textes transmis seront examinés pendant environ six mois par la Commission. S’ils sont validés sans opposition, les traitements à base de cannabis médical pourraient être disponibles en France d’ici la fin 2025 ou début 2026, en pharmacie et sur ordonnance, dans un cadre sécurisé et surveillé.
Une avancée importante, mais encore des obstacles
Si cette étape est symboliquement forte, plusieurs incertitudes demeurent. Les professionnels de santé devront être formés, des filières de production certifiées devront être mises en place, et l’évaluation de la HAS sur le remboursement pourrait encore retarder l’accès généralisé.
De plus, le sujet reste sensible dans l’opinion publique. Le risque d’amalgame entre usage médical et usage récréatif reste présent, et pourrait ralentir l’acceptation du dispositif. C’est pourquoi les autorités insistent sur un cadre strictement médical, prescrit uniquement dans des indications précises, par des médecins formés.
Un virage attendu, à confirmer dans les faits
Ce que la France vient de valider à Bruxelles n’est pas une révolution, mais un tournant réel dans la reconnaissance du cannabis comme option thérapeutique. Après des années de tests, d’attentes et d’hésitations, un cadre clair commence à se dessiner. Pour les patients concernés, c’est la promesse d’un traitement enfin accessible. Pour le système de santé, c’est un nouveau défi à organiser, encadrer, et surtout évaluer avec rigueur.
Les prochains mois seront décisifs pour transformer l’essai et faire du cannabis médical une réalité encadrée et utile, loin des fantasmes ou des simplifications.